Dossier n° 1
La mémoire orale du travail en Wallonie. Bilan et perspectives par Sven Steffens

Cet article synthétique a été édité en 2005 dans le cadre du chantier mené par l’Institut Jules Destrée sur l’histoire économique de Wallonie, dans Innovation, savoir-faire, performance. Vers une histoire économique de la Wallonie.



L'auteur

Sven Steffens est docteur en histoire (ULB) et a été durant plus de 10 ans l’assistant du professeur Jean Puissant, dans cette même université. Il est depuis décembre 2004 responsable du projet de création d’un musée communal d’histoire locale à Molenbeek-St-Jean. Vous pouvez lui faire parvenir commentaires, critiques et compléments d'information à l’adresse suivante : Musée communal, Rue Mommaerts, 2A - 1080 Molenbeek-Saint-Jean. Tél. : 02/412.08.10. E-mail : ssteffens@molenbeek.irisnet.be.


Introduction

Quelles sources orales utiles à l’étude de l’histoire de l’innovation et des savoir-faire existe-t-il en Wallonie ? Et quel est, jusqu’à présent, l’apport de ces sources à la connaissance du champ sous rubrique ? Telles sont les questions, simples en apparence, auxquelles nous essayerons d’apporter des réponses. Or, bien que l’histoire orale soit couramment pratiquée, depuis une trentaine d’années, en Wallonie, et qu’elle ait produit de nombreuses sources qui évoquent le monde du travail, il est malaisé de répondre à ces questions et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, parce que le dernier bilan en date des enquêtes orales menées en Belgique francophone remonte à il y a plus de vingt ans et parce qu’aucun répertoire ou catalogue ne les recense systématiquement. Notre contribution se veut un premier pas pour combler cette lacune qui, d’ailleurs, est en soi révélatrice de certains problèmes dont nous parlerons.

Ensuite, il est malaisé de répondre aux questions du départ parce que le grand nombre de sources conjugué à leur conservation dispersée en rend la consultation très fastidieuse. Face à cette situation, notre démarche a consisté à recenser – de manière empirique – et à consulter un maximum de sources publiées, ainsi que des études historiques basées, en tout ou en partie, sur des sources orales. Les indications de plusieurs spécialistes nous ont été de la plus grande utilité (1). Au total, environ 240 documents ont été identifiés dont les plus significatifs et exemplatifs seront mentionnés au fur et à mesure de l’avancement de l’exposé. Faute de temps, nous avons dû renoncer à retrouver et à consulter les sources originales, c’est-à-dire les enregistrements de témoignages oraux ou, à défaut, leur éventuelle retranscription. Il en a été de même pour les émissions de radio et de télévision qui, pourtant, représentent une documentation très riche en la matière.

Le repérage des sources orales se heurte aussi au problème de savoir ce que recouvre le terme "source orale". Nous considérons en tout cas que les enquêtes qui se réclament volontairement et sciemment de l’histoire orale ne représentent pas les seules sources orales. En effet, d’autres sources pouvant intéresser la recherche sont également porteuses de témoignages oraux.

En dernier lieu, il faut constater que l’innovation, ainsi que la circulation et les mutations des savoir-faire n’ont manifestement pas été au centre de la plupart des enquêtes qui ont exploré le monde du travail. En effet, les préoccupations thématiques de l’histoire orale en Wallonie relèvent davantage de l’histoire sociale du type "histoire de la vie quotidienne". Les témoignages en question décrivent alors les conditions de vie et de travail des gens ordinaires : habitat, vêtements, alimentation, loisirs, heures de travail, salaires, relations individuelles et collectives avec les collègues et le patronat, etc. (2) Les questions de techniques et de modes d’organisation du travail, de savoir-faire dans leurs rapports multiples avec les changements techniques et organisationnels, sont parfois ponctuellement abordées, mais rarement de façon approfondie. Cependant, il serait hâtif de s’arrêter à un simple constat de carence.

Dans un premier temps, nos évoquerons la poignée de publications qui thématisent, à partir de sources orales et de manière importante, des aspects de l’histoire de l’innovation et des savoir-faire. Ensuite, ayant été confronté à la difficulté de recenser les sources orales wallonnes, nous tenterons d’expliquer la relative méconnaissance dont souffrent, selon nous, ces dernières. Puis, nous plaiderons pour une vision large et ouverte de la notion de "source orale" et préconiserons la prise en compte de sources autres que les interviews biographiques ou thématiques. Enfin, dans la mesure où, ces trois dernières décennies, de nombreuses sources produites au travers de la démarche de l’histoire orale ont abordé le monde du travail, il nous semble justifié d’en donner un rapide aperçu augmenté d’éléments d’appréciation scientifique. Même si l’apport direct de ces sources au champ de recherche qui nous préoccupe est plutôt limité, celles-ci sont malgré tout essentielles parce qu’elles permettent une meilleure connaissance du contexte social et socio-culturel. Par ailleurs, nous avons l’espoir que les critiques que nous avons à émettre d’un point de vue scientifique et qui se veulent constructives, alimenteront la discussion.


(1) Nos remerciements vont à Marie-Thérèse Counet, Jacques Crul, Paul Delforge, René De Herdt, Bart De Nil, Bruno De Wever, Jean-Pierre Ducastelle, Claude Gaier, Jean-Jacques Heirwegh, Florence Loriaux, Luc Peiren, Jean Puissant, Björn Rzoska, Philippe Tomsin, Patricia Van den Eeckhout, Guénaël Van de Vijver, Jean-Jacques Van Mol, Annick Vilain et Martine Willems.
(2) Voir, par exemple, le chapitre « Vie quotidienne des verriers » comprenant des articles de M. THIRY, F. GOSSELIN et P. P. DUPONT, in : L’Art verrier en Wallonie de 1802 à nos jours. Catalogue de l’exposition organisée par les villes de Charleroi, Liège, Mons et Namur, avec la collab. du Crédit Communal, [Bruxelles], Crédit Communal, 1985, p. 85–96 ; P[ierre]-P[aul] DUPONT, « La vie quotidienne des ouvriers », in : Philippe JACQUET, Françoise JACQUET-LADRIER (éd.), La vie à Namur au temps du roi Albert. Exposition organisée par le Crédit communal à la Maison de la culture de Namur du 8 sept. au 13 oct. 1984, Bruxelles, Crédit communal, 1984, p. 56–67 ; La mémoire du 3ème âge. Publication : Comité du 150ème anniversaire, Baulers-Nivelles, Impr. Richet, [1980] ; ou la vaste fresque en deux copieux volumes Échos de la vie à Jodoigne pendant l’entre-deux-guerres (1918–1940). Témoignages et documents recueillis et présentés par Jean-Jacques GAZIAUX, Jodoigne, chez l’auteur, 2002.