Dossier n° 4
Enquêtes et témoignages, auxiliaires précieux pour écrire l’Histoire par Jean-Jacques Van Mol

L’enregistrement méthodique de témoignages pour alimenter une recherche en histoire orale a débuté en 1958 à Treignes dans le Sud Namurois pour acquérir une familiarité avec la réalité sociologique de la population du village.
L'auteur

Jean-Jacques Van Mol est professeur honoraire à l’Université Libre de Bruxelles. Il est notamment l'auteur du livre : Le paysan et la machine. Innovations techniques en agriculture en Belgique aux 19e et 20e siècles, 1998.


Enquêtes et témoignages, auxiliaires précieux pour écrire l’Histoire

L’enregistrement méthodique de témoignages pour alimenter une recherche en histoire orale a débuté en 1958 à Treignes dans le sud du Namurois pour acquérir une familiarité avec la réalité sociologique de la population du village. Village où l’ULB venait d’acquérir la gare de chemin de fer désaffectée pour y aménager un laboratoire de terrain à vocation pluridisciplinaire dans le domaine de l’environnement. Ce centre avait aussi par vocation d’y développer une méthodologie d’enseignement de l’étude du milieu.

Ces enquêtes ont souvent été accompagnées de dons spontanés d’outils et de machines qui n’avaient plus d’utilité pour eux. C’est ainsi que s’est progressivement constituée les collections, auxquelles sont venues s’ajouter des archives et des catalogues de firmes pour la mise en valeur desquelles a été créé, en 1980, un écomusée inspiré du modèle proposé par Georges-Henri Rivière en France.

Les témoignages ont d’abord été enregistrés chez des agriculteurs âgés, sur leur vie professionnelle où nous avons constaté l’importance de l’évolution qu’avait subie leur profession, transformations provoquées par la mécanisation des travaux agricoles. Les enquêtes se sont multipliées en s’étendant aux villages voisins, pour pouvoir obtenir une vision plus globale sur l’agriculture pratiquée dans la région.

La mécanisation ayant été un des facteurs qui ont bouleversé le paysage social de nos campagnes, on s’est intéressé plus particulièrement à l’industrie spécialisée dans le machinisme agricole. C’est ainsi qu’on a réalisé toute une série d’enquêtes à Gembloux où la fabrication de charrues par la firme Mélotte a joué un rôle décisif dans l’adoption de la charrue double-brabant dans nos campagnes. Cette démarche a eu pour but de compenser l’absence d’archives, elle a abouti à a publication d’une monographie où tout un chapitre est consacré aux retranscriptions de la vingtaine de témoignages recueillis auprès d’anciens travailleurs dans cette entreprise, ouvriers, employés, directeurs, témoins extérieurs... (1)

Une évocation, sous la forme de chronique, rassemble une cinquantaine de témoignages de paysans et d’artisans, elle brosse un tableau des transformations vécues par la communauté villageoise au cours du XXe siècle. Les souvenirs rassemblés dans cette fresque remontent à la fin du XIXe siècle pour s’achever à l’aube du XXIe. Deux publications y sont consacrées. (2)

Au cours de nos enquêtes, nous avons également orienté nos recherches dans les domaines de l’exploitation de la forêt et de la sidérurgie. Treignes est en effet situé dans une région de vieille tradition de travail du fer. L’ancienne sidérurgie au charbon de bois avait lentement décliné au cours du XIXe siècle, une nouvelle métallurgie de la fonte a pris le relais, elle est devenue une industrie florissante au siècle dernier dans la production d’appareils de chauffage. La poêlerie couvinoise a connu une prospérité remarquable, de nombreux villageois y ont travaillé à tous les niveaux de la production. Pendant les années 1990, une série d’enquêtes ont été menées dans le domaine de la fabrication de poêles et de chaudières, interviewant des acteurs à tous les niveaux de la production, des directeurs aux manœuvres en passant par toutes les étapes de leur construction.

Une table ronde a été organisée à Couvin sur ce sujet en collaboration avec la Faculté de Philosophie et Lettres de l’ULB (professeur : Jean Puissant). Colloque qui a permis de clarifier plusieurs aspecte méconnus de l’industrie du chauffage domestique. Il a permis de fournir une meilleure assise à nos enquêtes. Cette réunion a fait l’objet d’une publication. (3) Les enququêtes on fait l’objet d’une publication séparée. (4)

La saboterie a également été une importante activité industrielle dans le village de Nismes, proche de Treignes. Une série d’enquêtes ont été menées dans cette localité en 1984 et 1985. Elles avaient fourni la matière pour la réalisation d’une exposition sur les lieux mêmes des enquêtes. D’autres pistes de la transformation du bois ont également été explorées : scierie, boisselerie, chaiserie ont fait l’objet d’enregistrements. Une publication a été consacrée à ce domaine. (5)

L’industrie laitière a fait l’objet d’une exposition temporaire à l’écomusée destinée à mettre en valeur ses riches collections ans ce domaine. Ce projet a motivé une série d’enquêtes sur cette industrie, depuis des producteurs (confrontés aux difficultés du marché, aux aléas de la "vache folle", etc.) jusqu’aux transformateurs. Cette recherche a débouché sur une publication où une large place a été réservée à la retranscription des enquêtes. (6) Ainsi plus de 300 enregistrements ont été réalisés, ils sont conservés à l‘écomusée du Viroin à Treignes.

Dans notre démarche, nous avons privilégié le domaine des techniques, de la transmission du savoir-faire, de l’adoption d’innovations. Chaque entretien apporte des éléments à l’histoire des techniques et leurs implications sociales dans un secteur particulier de l’artisanat et de l’industrie. Chaque entretien doit être préparé, une certaine familiarité avec le domaine envisagé est nécessaire pour fournir les points de repères nécessaires à une conduite des interviews qui ne soit pas laisse au hasard ou à l’intuition. La connaissance du terrain nécessite un certain investissement de la part de l’enquêteur pour acquérir une information élémentaire des techniques mises en œuvre. Une information préalable du contexte industriel offre de grands avantages dans la conduite des entretiens car ils abordent les conditions de travail, l’organisation du travail dans les ateliers. Il est très utile d’être familiarisé avec le vocabulaire technique très riche du secteur professionnel envisagé, d’avoir une connaissance minimale de ses activités, de ses produits et de ses méthodes.

L’entretien devrait en principe aborder l’ascendance familiale, la formation reçue, puis la recherche du premier emploi, l’acquisition de la qualification professionnelle, les conditions de travail dans une entreprise...

Il ne s’agit pas d’organiser l’entretien de façon rigide. En fait, au cours d’une entretien, le témoin saute en permanence d’un thème à l’autre il ne s’agit pas d’interrompre ces enchaînements, de briser le rythme du récit. Pour être efficaces, les entretiens doivent conserver un caractère non directif. Il est par contre souvent nécessaire de relancer le récit sur un point demeuré obscur ou qui justifie plus de développement aux yeux de l’enquêteur. Cette manière de procéder procure des résultats plus riches qu’un questionnaire préétabli, structuré de manière rigide, susceptible de braquer le témoin ou du moins l’intimider.

La qualité du témoignage dépend en effet de la manière d’aborder le témoin. Il faut apprendre à l’écouter, l’encourager, mais surtout s’efforcer de ne jamais l’interrompre au cours d’une évocation. L’entretien doit être préparé avec l’esprit des sujets bien récit pour pouvoir orienter son cours.

La photographie constitue un complément fort utile au cours d’une enquête. Non seulement elle recèle son propre lot d’informations, mais, utilisée au cours d’un entretien, elle peut apporter une aide précieuse au témoin pour lui rappeler des souvenirs auxquels il ne pensait plus, remémorer des gestes et des situations oubliés. En outre, le témoin possède souvent de tels documents qui concernent son propre parcours professionnel.

Pour la transcription de l’entretien, des remaniements sont la plupart du temps nécessaires. En effet, pour être exploitable, il est nécessaire que l’enregistrement soit retranscrit. L’ordinateur est un auxiliaire fort utile car avec le système copier-coller, on peut recomposer le témoignage, de rassembler les informations éparses dispersées dans le document brut, pour lui conférer unité et cohérence.


(1) Billen, C., Heirwegh, J.-J. et Van Mol J.-J., Alfred Mélotte, inventeur de charrues, fondateur d’industrie, Treignes, Editions DIRE, 109 p., 1997.
(2) Van Mol J-J. et Quinet W., Artisans et terroir. Traditions wallonnes, 16, 199 p., 1999 et Van Mol J.-J., Paysans et paysages au Pays du Viroin. Chronique du XXe siècle, Treignes, Ecomusée du Viroin, Editions Dire, 297 p., 2002.
(3) Puissant J. et Van Mol J.-J. (éd.), Fonderies de fer et poêleries, Ecomusée du Viroin, ULB, 128 p., 2004.
(4) Van Mol, J.-J., Fonderies et poêleries en région couvinoise, PIWB. Enquêtes et témoignages du monde industriel, 91 p., 2004.
(5) Van Mol, J.-J., Industries à la campagne, transformations du bois, PIWB. Enquêtes et témoignages du monde industriel, 84 p., 2004.
(6) Van Mol, J.-J., Le lait et ses dérivés, origine et essor d’une industrie, Treignes, Ecomusée du Viroin, éditions Dire, 221 p., 2005.